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SILHOUETTE : PRÉSENCE SCHÉMATIQUE

Une autre forme d'ombre, fréquemment utilisée dans les arts de la scène est la silhouette qui produit une présence schématique. Cette ombre dense et définie doit son nom à Étienne de Silhouette [8], contrôleur général des finances de Louis XV, tristement célèbre par des mesures fiscales très impopulaires. Mais ce qui nous intéresse davantage ici, il avait choisi, artiste à ses heures, de décorer l'intérieur de son château avec les silhouettes de ses amis calquées et découpées, procédés bien moins coûteux que des portraits gravés ou peints.

L'adaptation de cette pratique sur scène présente de nombreux avantages. Gordon Craig l'avait bien compris dès le début du XXe siècle alors qu'il place des éclairages en fond de scène pour créer un contre-jour et dessiner des ombres avec le corps des acteurs. Ce dispositif sera souvent repris, à divers endroits sur la scène, et ce pour de multiples raisons.

D'abord parce que la silhouette produit beaucoup d'effet avec un minimum de ressources. Peut suffire, une simple source lumineuse placée derrière le corps qui fait obstacle à la diffusion de la lumière au-delà de l'auréole créée autour de la silhouette qui se « décolle ». En faisant ainsi écran à l'éclairage, ce dispositif de contre-jour attire l'attention, comme on l'a dit plus haut, sur la source lumineuse, fut-elle aussi ténue qu'un filet ou une aura, mais ce dispositif intrigue aussi parce que les corps n'exposent pas aux spectateurs leur face éclairée, comme si l'action se déroulait sur une autre scène à laquelle le spectateur n'avait qu'indirecte- ment accès. C'est ce sur quoi a tablé Jacques Demers en scénographiant l'installation immersive de Char Davies, Osmose.

Chaque « immersant » peut anonymement s'exposer au regard des autres pendant qu'il découvre et circule dans un univers virtuel que les autres spectateurs attendent impatiemment de visiter. Ses gestes et ses mouvements sont perçus comme autant de réactions fournissant quelques indices du contenu de l'expérience à vivre, donnant un avant goût de la découverte à venir.

C'est un procédé qu'a abondamment utilisé Robert Lepage dans de nombreuses œuvres. La silhouette, sorte de litote à la fois par sa simplicité qualitative, exige peu de détails qu'elle évoque néanmoins, et quantitative, elle suggère souvent un plus grand nombre d'éléments, constitue l'un des moyens les plus efficaces pour représenter des groupes dans un espace restreint ou pour focaliser l'attention, dans cette pénurie de stimulants, sur les quelques éléments sensoriels sollicités, quelques gestes ou la voix. Le caractère schématique de la silhouette donne en effet l'impression qu'il faut aller à l'essentiel et ne pas se perdre dans le superflu.

La silhouette offre aussi un rôle important de figurants dans une autre version de La Damnation de Faust, celle qui fut montée par la Fura dels Baus pour le Festival de Salzbourg en 1999. Elle apporte ici une grande intensité dramatique puisque, malgré l'anonymat de ces personnages sans visage et sans identité, on sait que, contrairement à une ombre qui suggère la présence d'un corps souvent absent, ces silhouettes appartiennent à des corps présents sur scène. Ajoutons que les jeux de contraste, et plus fondamentalement encore, la référence à ce qui fut longtemps la seule lumière terrestre la nuit, le feu, ajoutent à l'intensité de ces scènes où, comme dans les histoires sombres, les pulsions les plus obscures s'éveillent la nuit en présence d'ombres réputées maléfiques.

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Notes

8. Paërl Hetty; Botermans Jack; Van Delfi Pieter. Ombres et Silhouettes. Paris, Chęne Hachette, 1979 return to article

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Last verified: August 1st 2013.