ABSTRACT
This article addresses the impact of new media on concepts of landscape. More precisely, it concerns artistic projects using new media that incorporate elements of nature. It shows how these projects participate in an economy of landscape, but at the same time reformulate the very principles associated with the genre.
Four projects are presented as case studies: Glenlandia (2005-07) by Susan Collins, Osmose (1995) by Charlotte Davies, Tele-Garden (1995-2004) by Kenneth Goldberg and Joseph Santarromana, and One Tree(s) (1999–) by Natalie Jeremijenko.
In essence, these projects deal not with ecology so much as with new spatio-temporal relations of the perceiving subject with nature, relations always mediated by the concept of landscape. As defined by "ecosophy," these spatio-temporal relations are open to exploration and adaptation characterized by continuous change. These changes include distortion, movement, and a form of blindness that weaken the dominant position of vision in human perception of the world.
The projects in question overturn the opposition between humanity and nature that had been, from the beginning of the modern era, the basis of landscape, a genre characterized by frontality, alterity, and pure opticality.
Il est généralement admis que les nouvelles technologies —le numérique et les biotechnologies— engendrent une certaine restructuration de l'économie visuelle ainsi qu'une manière différente de percevoir et d'appréhender le monde [1]. Bien que nous n'ayons pas encore pleinement mesuré les impacts de ces changements, nous pouvons globalement affirmer qu'ils engagent de nouvelles façons d'être [2] en nous forçant à reconsidérer notre ontologie et notre être-ensemble [3].
Plusieurs artistes se sont emparés de ces nouveaux dispositifs spatio-temporels pour réaliser des projets qui encouragent une réflexion critique sur leur logique même en proposant des configurations existentielles inédites. Peu ou prou, ces projets artistiques contribuent à modifier le paradigme relatif à notre façon de représenter le monde et à notre rapport au temps et à l'espace. Retiendront notre attention les projets intégrant des éléments réels ou virtuels qui réfèrent à la nature; nous pensons par exemple au travail de Stephan Barron, Susan Collins, Luc Courchesne, Charlotte Davies, Kenneth Goldberg et Joseph Santarromana, Natalie Jeremijenko, Christa Sommerer et Laurent Mignonneau. Leurs projets qui sont réalisés pour le web et/ou fondés sur des systèmes numériques, électromécaniques ou biotechnologiques visent à créer des mondes virtuels ou réels qui incorporent des éléments de la flore (arbre, feuille, forêt, jardin) ou de l'atmosphère (eau, nuage, luminosité) et comportent une dimension participative d'importance variable.
Cet essai entend soumettre quatre projets aujourd'hui célèbres à la discussion : Glenlandia (2005-07) de Susan Collins, Osmose (1995) de Charlotte Davies, Tele-Garden (1995-2004) de Kenneth Goldberg et Joseph Santarromana et One Tree(s) (1999–) de Natalie Jeremijenko. Loin de prétendre à l'exhaustivité, ces choix offrent néanmoins des exemples significatifs d'oeuvres recourant à des éléments naturels réels ou à des « images » [4] de la nature et illustrant différents types d'oeuvres médiatiques soit : l'hypermédia, l'oeuvre collaborative et relationnelle ainsi que le recours à la cyberception et à la téléprésence [5].
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Osmose
Célébrée internationalement, l'oeuvre Osmose (1995) de la Canadienne Char Davies [58] propose une expérience d'immersion dans la réalité virtuelle. Inspiré de moments passés dans la solitude et la tranquillité des territoires ruraux du sud du Québec, où l'artiste possède une propriété [59], son dispositif a été conçu dans le but de faire vivre à l'utilisateur une expérience cinétique d'immersion à travers laquelle ce dernier est invité à entrer en symbiose, d'où le titre Osmose, avec une nature simulée.
Figure 1.
Char Davies. Immersant, as seen through shadow screen during immersive performance of virtual reality environment Osmose, 1995.
Pour faire l'expérience d'osmose, l'utilisateur est isolé dans une petite pièce où il enfile un casque de vision stéréoscopique, un appareil d'écoute et une veste pourvue de senseurs qui lui permettent d'accéder au « paysage » virtuel conçu par Davies. Les mouvements corporels volontaires et involontaires déterminent les déplacements de l'utilisateur dans l'espace virtuel. La structure spatiale du paysage virtuel d'Osmose intègre divers éléments visuels et sonores : une clairière, une forêt, un étang, des nuages, des feuilles, un univers sous-marin, un abysse, mais aussi une grille, du texte et des codes, ainsi que des échantillons de voix humaines, féminines et masculines. Les éléments sonores sont ici conçus pour faire écho aux éléments visuels.
La respiration de l'utilisateur engendre des déplacements virtuels verticaux (allant du code au texte en passant par un espace sous-terrain, une clairière et des nuages) dont la portée est proportionnelle à l'intensité de l'inspiration et de l'expiration. Les mouvements du corps produisent, quant à eux, des déplacements virtuels horizontaux entre une forêt et une clairière virtuelles. Davies opte pour des images élastiques et semi--transparentes, de telle sorte que les limites entre les divers éléments qui constituent le paysage virtuel demeurent floues et baignent dans la lumière. La fluidité de l'espace et des formes évoque une membrane poreuse. Un peu à la manière de ce que saisirait un regard myope (Davies souffrant elle-même sévèrement de cette affliction), l'espace se constitue en volumes ambigus, contrevenant aux formes définies et aux contours tranchants qui sont ceux de l'illusionnisme et du réalisme photographique. Le dispositif d'exposition prévoit également une pièce munie de deux écrans lumineux, qui est ouverte aux autres visiteurs plongés dans une semi-obscurité. La vidéo stéréoscopique du monde 3D dont l'utilisateur fait l'expérience est alors projetée en temps réel sur l'un des écrans. Le deuxième écran projette la silhouette de l'utilisateur et reproduit, un peu comme une ombre, les mouvements de ce dernier (fig. 1).
Figure 2. Vertical Tree,
Osmose, 1995.
Digital still image captured during immersive performance of the virtual reality environment Osmose.
L'utilisateur est donc convié à « voyager » dans un univers où se déploie un paysage archétypal (figs. 2, 3). Comme l'explique Davies, l'intention qui sous-tend l'oeuvre est de créer une expérience d'ordre mythique, une quête de réconciliation:
In Osmose, I set out to create a work which not only communicates my own particular vision of the world, but which demonsrates the medium's potential to enable us to experience our place in the world afresh, or to paraphrase Bachelard, to change space in order to change our nature. [...] In this context, Osmose seeks to re-sensitise—reconnecting mind, body and world [60].
Délaissant la posture cartésienne, Osmose arrime en quelque sorte les pulsations du corps à une nature archétypale simulée. Directement branchées sur les fonctions vitales de l'utilisateur, les interfaces pénètrent ce paysage de manière tactile [61]. On parlera tantôt de « nouvelles sensorialités », tantôt de « métasensibilité » pour désigner cet univers intellectuel converti aux désirs du sensible.
Figure 3. Tree Pond,
Osmose, 1995.
Digital still image captured during immersive performance of the virtual reality environment Osmose.
Louise Poissant, en les situant aux « contours de l'expérience esthétique », parle en effet de nouvelles sensorialités [62] pour désigner l'amplification des capacités multisensorielles du corps qu'induisent de telles interfaces. Alain-Renaud Alain parle, quant à lui, de métasensibilité [63] pour désigner l'arrimage entre l'intelligibilité et le corporel. Lorsqu'il s'agit de caractériser les modalités du toucher dans la réalité virtuelle, Laura Marks utilise, pour sa part, le concept d'unevision tactile (« tactile, or haptic visuality ») [64]. Contrairement au trompe-l'oeil fondé sur une mise à distance obligée, l'accès à la réalité virtuelle repose sur cette appropriation du « paysage par le corps au moyen d'interfaces sophistiquées. Ce qui fait dire à Derrick de Kerckhove que le 3D « rétablit l'expérience tactile dans une forme visuelle [65]». Osmose offre donc des alternatives à nos modes habituels d'appréhension de l'image et, paradoxalement, de la nature en ramenant l'expérience tactile et auditive dans l'expérience visuelle.
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Notes
1. Lev Manovich, The Language of New Media, Cambridge, Mass., London, UK, MIT Press, 2000.
2. Roy Ascott est l'un des premiers à avoir tenté, et ce dès 1966, de saisir théoriquement les bouleversements qu'entraînent les technologies de la télécommunication sur la formation de la subjectivité. Voir entre autres : Roy Ascott, « Behaviorist Art and the Cybernetic Vision », Cybernetica, vol. 9, no. 3, 1966, p. 247-64 ; et plus récemment Roy Ascott (éd.), Reframing Consciousness : Art, Mind and Technology, Plymbridge, Intellect, 1999.
3. Au sujet des conséquences du virtuel sur l'ontologie, on peut consulter : Philippe Quéau, La Planète des esprits. Pour une politique du cyberespace, Paris, Odile Jacob, 2002.
4. Le terme « image » est employé ici avec beaucoup de réserves, car on peut se demander s'il convient encore de parler d' « images » à propos de dispositifs qui impliquent une immersion de l'utilisateur.
5. Annik Bureaud, « Pour une typologie de la création sur Internet », à consulter sur le site de l'observatoire Leonardo des arts, des sciences et des technologies (www.olats.org).
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58. On peut voir des images tirées de Osmose sur le site de Char Davies : www.immersence.com.
59. Laurie McRobert, Char Davies' Immersive Virtual Art and the Essence of Spatiality, Toronto, Buffalo, London, University of Toronto Press, 2007, p. 13.
60. Char Davies, « Osmose: Notes on Being in Immersive Virtual Space», dans Colin Beardon et Lone Malmborg (éd.), Digital Creativity: a Reader, Lisse, The Netherlands, Swets and Zeitlinger Publishers, 2002, p. 101-10. Disponible en format électronique: www.immersence.com/publications/char/2002-CD-Digital_Creativity.html.
61. Erkki Huhtamo, « Twin-Touch-Test-Redux : Media Archeological Approach to Art, Interactivity, and Tactility», dans Grau, Olivier (éd.), Media Art Histories, Cambridge, Massachusetts, London, UK, MIT Press, 2007, p. 71-101.
62. Louise Poissant (dir.), Esthétiques des arts médiatiques. Interfaces et sensorialités, C.I.E.R.E.C. Publications de l'Université de Saint-Etienne, Sainte-Foy, Presses de l'Université du Québec, 2003, p. 9.
63. Alain-Renaud Alain, « Interfaces et sensorialités », dans Louise Poissant (dir.), op. cit., p. 87.
64. Laura U. Marks, Touch: Sensuous Theory and Multisensory Media, Minneapolis and London, University of Minnesota Press, 2002.
65.
Derrick de Kerckhove, « Culture et médias numériques. 'Les médias et l'architecture de l'intelligence », dans Louise Poissant, op. cit., p. 59.
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