Univers virtuel immersif explorant la correspondance symbolique entre la nature et le "soi".
Le dispositif complet de cet environnement virtuel utilise pour "l'immersant" un casque de visualisation stéréoscopique avec son en trois dimensions, une veste munie de senseurs pour capter les mouvements de la respiration, et pour le reste du public une projection video stéréoscopique, l'ensemble géré par un ordinateur graphique à multiprocesseurs (Silicon Graphics), des micro-ordinateurs et des échantillonneurs. Osmose a été présenté en 1995 au Musée d'Art Contemporain de Montréal, à Galerie Ricco/Maresca à New York, et de novembre 96 à février 97 à la Galerie Laing, Newcastle-on-Tyne, en Grande-Bretagne.
Description
Osmose invite le spectateur à un parcours initiatique, dans un univers poétique. Pour cela, l'"immersant" (néologisme créé par l'auteur) doit revêtir un casque de visualisation stéréoscopique et d'écoute spatialisée, et une veste munie de capteurs, qui vont détecter les mouvements du corps et l'amplitude respiratoire. L'environnment sonore interagit avec la situation dans l'espace du visiteur, ses déplacements et la vitesse à laquelle il les opère
Tant par son esthétisme limpide que par son mode de navigation onduant, Osmose est intimement lié à l'univers sous-marin - qu'explore par ailleurs Char Davies depuis quelques années. Ainsi, les déplacement verticaux sont régis par une respiration profonde, inspiration pour monter, expiration pour descendre. Tandis que les déplacements horizontaux répondent aux mouvements du corps: penché en avant, en arrière, à gauche, à droite. Le visiteur a la possibilité de traverser, avec une vision à 360 degrés, douze territoires symboliques qui s'interpénètrent ou se succèdent: la clarière, la forêt, l'arbre, la feuille, le nuage, l'étang, la terre, le monde souterrain, l'abysse. le code, le texte et "Lifeworld". Les couleurs sont dans des tons subtils de brun, vert et sépia. Selon les mondes, les images apparaîssent entre figuration et abstraction. La clairière, par example, espace central et de repos, accueille une rivière, habitée de petits éclats de lumièreque l'on peut accompagner en un temps fugitif, ainsi qu'un arbre stylisé, dans lequel on peut entrer pour découvrir le monde des feuilles. L'etang plonge le visiteur dans une eau dense d'un vert "opaque" et uniforme. Aux deux extrémités de ces mondes, à l'image de parenthèses, les univers du texte acceuille pour l'un des écrits sur la technologie, le corps et la nature, ainsi que des citations de Rilke, Bachelard, Heiddeger... tandis que celui du code comporte une partie des lignes constituant l'application-même.
Commentaires
"Mais c'est une chose qu'on ne sait jamais dans l'instant présent, si la réalité est un songe ou si le rêve est réalité"
Milan Kundera.
Pour Char Davies, l'un des aspects les plus intéressants de la réalité virtuelle est sa capacité à explorer le monde intérieur, l'experience subjective "d'etre dans le monde" Avec Osmose, l'auteur tente ainsi d'abolir la dualité cartésienne entre la corps et l'espirit. Aux joysticks et tracballs, elle a préféré une interface "naturelle", la respiration et le balancement du corps. L'explorationde cet univers est volontairement solitaire, en opposition avec la notion de mise en réseau liée aux nouvelles technologies.
Discussion avec l'assistance
Char Davies: Je voudrais dire avant tout que la technologie ne m'intéresse pas vraiment , mais je pense que l'espace rendu accessible par les technologies nouvelles n'a pas de précédent en terme de facilité à expérimenter une façon que j'appelle "d'être dans un monde". Je veux parler de "l'existence", au sens philosophique, en ces mêmes termes utilisés par Bachelard quand illisait: lorsqu'on change l'espace et lorsqu'on peut pénétrer dans un espace qui change de manière cyclique, on ne change pas d'espace, on change soimême. Je ne raisonne pas en termes d'interactivité, mon attention est surtout focalisée sur les "capacités" de cet espace. La sensibilité de cette ouvre, en terme d'esthétisme, en terme de conduite narrative non linéaire, repose avant tout sur ma sensibilité et mon vécu de peintre.
Assistance: Je suis étonne lorsque vous dites que vous voulez plonger les gens dans leur véritable "soi", parcde qu'étant une artiste vousplongez les gens en fait dans votre véritable "soi". Et quand vous parlez de plonger dans son véritable soi, c'est une eexperience spirituelle. C'est un concept très new age, très anéricain, et mélanger Bachelard avec ça, pour moi c'est un peu douteux.
C.D.: Ce sont là vos propres opinions. Ce travail est très subjectif, donc lorsque les gens l'expérimente, il y a un effet de miroir, reflétant qui ils sont. Je base mon commentaire sur mon expérience à regarder les gens qui utilisent l'installation, et sur des centaines de lettres, de messages dans ma boîte électronique, de discussions, etc. Et à partir de ces commentaires et en se basant sur cette expérience, il semble que cela crée un contexte dans lequel les gens peuvent faire l'expérience du soi, dans un sens très philosophique. Quelle est la différence avec quelqu'un qui marcherait dans un bois? Pourquoi avoir recours à toute cette technologie? Et bien, quand vous marchez dans un bois, vous voyez toujours le monde qui vous entoure comme étant constitue d'éléments solides et séparés, et vous marchez toujours sur le sol, obéissant aux lois de la gravité. Donc vous êtes vraiment à l'intérieur de vos perceptions habituelles. C'est là que réside la différence fondamentale entre ce travail et le simple fait d'aller se promener. De la même manière, on pourrait dire pourquoi ne pas prendre simplement une drogue ou un hallucinogène? Je dirais que la différence avec une expérience comme Osmose, c'est le fait que la perception de l'environnement passe par une autre vision très personnelle, celle d'un artiste. Dans ce cas, je suis d'accord, c'est effectivement filtré a travers la vision individuelle de l'artiste, car c'est une ouvre artistique, et je trouve que ce qui fait tout l'interét de ce type de support, en tant que support expressif, c'est qu'il puisse fonctionner ainsi.
Assistance: Avez-vous pu faire une analyse des différentes réactions psychologiques et comportementales des gens qui ont été mis dan cette immersion?
C.D.: Il n'y a pas eu d'analyse systématique, mais voici quelques observations que j'ai pu faire. Lorsque les gens sont à l'intérieur, ils oublient le temps qui passe. Quand ils viennent au labo, ils y restent aussi longtemps qu'ils le veulent, soit en général 40 minutes. Mais quand on leur demande de sortir, ils pensent qu'ils y sont restés 5 ou 10 minutes. Et lorsqu'ils ressortent, ils ont l'air physiquement et mentalement très détendus, ils ont même du mal à parler de façon rationnelle pendant 5 ou 10 minutes, tellement ils sont détendus. Environ une douzaine de personnes m'ont dit qu'elles avaient pleuré après ça, à cause de la sensation d'avoir soudain perdu quelque chose quand ca s'arrête. Et environ une douzaine de personnes m'ont dit qu'elles n'avaient plus peur de mourir après cette expérience. Si je devais donner une interprétation à cela, je dirais qu'il y a un phénomène de désincarnation, en même temps que celui d'incarnation.
Assistance: Il y a quelques années, j'ai eu l'occation d'être associé à la production d'une pièce en réalité virtuelle de l'artiste américain Matt Mulican five into one, et en discutant avec lui, j'ai découvert qu'il avait commencé sa carrière de plasticien en Californie par un certain nombre d'eexperiences autour de la drogue (du mescal et du LSD), et qu'il ressentait son intérêt et son implication dans le travail sur la réalité virtuelle comme un prolongement de ses expériences de jeunesse. Acceptez-vous l'idée que les mondes virtuels soient des paradis artificiels, avec en toile de fond l'usage des drogues qui va souvent avec, ou avec la référence au religieux à travers le méditation? Que pensez-vous sur les plans éthique, philosophique, politique, des effets que vont avoir ces mondes, les usages sociaux qu'ils auront demain?
C.D.: Je n'ai jamais vraiment médité, donc je ne peux pas parler de cette experience. Quant à la drogue, j'y ai goûte, mais il y a pas mal d'années de cela au point que je ne m'en souviens même plus très bien. Je pense donc que l'on ne peut pas parler d'influence. Non, une chose plutôt qui a vraiment influencé cette ouvre, c'est que j'habitais à la campagne et passais beaucoup de temps à marcher dans la nature, et pendant que je marchais, j'essayais toujours de me sentir enveloppée par ce qui j'ai abandonné la peinture pour me diriger vers ce nouveau support, parce qu'il permet de se sentir totalement enveloppé par l'espace. C'est moins l'interactivité qui m'intéresse que l'interaction perceptuelle entre les personnes qui évoluent dans cet espace virtuel Éphémère.
Je passais beaucoup de temps à marcher dans la l'nature, et pendant que je marchais, j'essayais toujours de me sentir enveloppée par ce qui m'(entourait) c'est pour ça que j'ai abandonné la peinture pour me diriger vers ce nouveau support, parce qu'il permet de se sentir totalement enveloppé par l'espace.
Char Davies
Assistance: Quel est le coût de ce projet, est-ce qu'un mécénat l'a pris en partie en charge, et a't'il une rentabilité prévue?
C.D.: Le projet a été totalement pris en charge par Softimage, et il n'y a pas de bénéfice prévu. Simplement ce projet rejoint toute la sensibilité de cette societe qui a toujours été intéressé par les relations entre les nouvelles technologies et la créativité. Et puis, d'autre part, il est vrai que j'ai participé à la création de cette société dans l'espoir de pouvoir un jour avoir accès à ces technologies. Lorsque la société devint rentable, j'ai en effet pu m'eloigner un peu de la paitie business pour revenir vers mon travail personnel. C'est donc également très lié à ma propre relation avec Softimage.
Assistance: Il y a dans l'installation une double démarche: d'une part, l'immersion de la personne qui va dans Osmose, et d'autre part, les gens qui la regardent de l'extéreur. Pourquoi l'avez-vous conçu ainsi?
C.D.: C'est délibérément conçu comme une ouvre solitaire. Et on voulait permettre aux gens de pouvoir l'experimentet pendant au moins 15 minutes plutot que pendant 2 ou 3 minutes, ce qui signifie qu'on ne peut avoir dans une journée que 30 personnes qui pourront expérimenter une vraie immersion. Il était donc important de permettre à un plus grand nombre de personnes d'être témoins de cette expérience. Et puis, certaines personnes ne souhaitent pas être immergées, mais préfèrent regarder le résultat sur un écran video tout en voyant la personne qui est immergée, car ils peuvent ainsi faire la relation entre ses mouvements et ce qu'ils voient sur l'écran.
Assistance: Est-ce que le visiteur "existe" dans le monde que vous créez, u en est-il juste spectateur? Y a-t-il des objets avec lesquels on peut agir?
C.D.: J'ai toujours mis l'accent sur l'idée de relativité perceptuelle entre la personne qui expérimente et le reste du monde, plutôt qu'une interactivité axée sur quelque chose. Excepté pour les sons, puisque selon que vous regardez en l'air ou en bas, les sons changent. Ce qui était également important pour moi était que les gens n'utilisent pas leurs mains, contrairement à la majorité des installations interactives. En plongée, on apprend que si l'on touche aux choses qui nous entourent, cela a deux incidences possibles: vous pouvez tuer la chose, ou elle peut vous blesser. On vous apprend donc une manière "d'entrer en relation" qui est différente de "entrer en action".
Selon que vous regardez en l'air ou en bas, les sons changement.
Fiche technique
Auteur: Char Davies
Graphisme: Georges Mauro
Développement: John Harrison
Conception musicale: Rick Bidlack
Design sonore: Dorota Blazczak
Production: Softimage
Char Davies est plasticienne et directrice du départment Recherche Visuelle à Softimage - Montréal.
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