J'étais étendue dans le foin fraichement coupé, à la tombée de la nuit, et je me suis endormie. Quand je me suis réveillée, j'ai eu une sensation étrange, comme si mon esprit s'étendait jusqu'à l'horizon. A ce moment-la, il n'y avait aucune séparation entre le monde et moi, entre l'intérieur et l'extérieur . . .
Pour Char Davies, l'aventure a commencé il y a une vingtaine d'années, dans un champ de blé, quelque part dans le sud de l'Ontario. Décidée à communiquer son expérience, elle fera de la peinture puis des images en trois dimensions avant de se tourner vers la réalité virtuelle. Directrice du groupe de recherche visuelle chez Softimage, elle a réalisé, avec une petite équipe de pointe, une des premieres oeuvres de réalité virtuelle, Osmose, que le Musée d'art contemporain inaugure aujourd'hui même.
L'expression « realité virtuelle » est à la mode, on la sert donc un peu à toutes les sauces, par example pour décrire des images en trois dimensions sur un écran. Mais en fait, pour voir la « vraie &lrquo; réalité virtíielle, il faut porter un casque de visualisation. A l'intérieur, deux écrans d'affichage à cristaux liquides, comme ceux des micro-télévisions, diffusent des images créées par ordinateur à travers des lentilles qui donnent l'impression que ces images de synthèse nous enveloppent dans un espace virtuel. En général, une manette ou un gant muni de senseurs acheminent les mouvements de la main à un ordinateur qui modifie les images en conséquence, d'où l'impression de se déplacer. Mais pour l'instant, malgré des possibilités . . . virtuellement infinies, ce nouveau médium numérique demeure confiné à des mondes de bande dessinée, avec combats et courses à obstacles. Il y a bien une Abbaye de Cluny, et des grottes de Lascaux virtuelles, mais en fait de nouveauté . . .
Un nouvel art . . . industriel
Projet artistique unique dans l'industrie, Osmose pourrait bien provoquer une révolution semblable à celle déclenchée par le logiciel Softlmage 3D, qui a permis au monde entier, gràce au fameux film de Steven Spielberg, de voir les monstres du jurassique en action.
Inspirée par ses expériences de plongée sous-marine, Davies a remplacé le gant par une veste, qui communique à l'ordinateur la position de votre torse. Penchez vers l'avant et vous avancez; vers l'arriere et vous reculez. La veste signale aussi que votre cage thoracique est contractée ou dilatée. Remplissez vos poumons : le gros ordinateur Silicone Graphics réorganise instantanément les images et vous « montez ». Expirez, et vous « redescendez ».
Osmose est composé d'une dizaine de « mondes » — feuille, clairière, abysse, ciel, etc. — dont l'aspect évoque une fusion de l'organique, du minéral et du moléculaire, dans des coloris qui vont du vert mousse au brun tabac en passant par les rouge cuivrés et les terre de Sienne. Impossible de s'y, méprendre : ces transparences, ces textures indéfinissables, ces particules lumineuses qui s'étirent en constellations lointaines, tout cela est clairement imaginaire. Puis il y a l'expérience.
Abracadabra !
Démarrage dans une grille en trois dimensions. Vous vous inclinez légérement vers l'avant: la grille défile et s'efface dans un fouillis de feuilles. lnstinctivement, vous penchez la tête : elles s'écartent. Tournez un peu la tête . . . un arbre apparait, la, sur votre droite. Expirez, et voilà que vous descendez, comme en état d'apesanteur, dans une clairière-spacieuse, tapissée de feuilles et d'un millier de détails mouvants, que vous n'avez pas le temps d'analyser. Un ruisseau de lumiere coule vers un étang sombre. Vous passez sous la surface de l'eau : à côté, le sous-sol révèle des entrailles lumineuses toutes en transparences et en demi-teintes.
Le temps d'apercevoir au passage les racines de l'arbre ou vous étiez perché tout à l'heure, et voilà que vous glissez dans l'abysse, frôlant une paroi suspendue au-dessus du vide. Gonflez les poumons à bloc et vous montez. Quelques gros météorites cuivres passent, et vous voilà au ciel. Curieux, vous continuez votre ascension et des pans de texte défilent — des extraits de Rainer Maria Rilke et de Gaston Bachelard, dont les écrits sur la nature ont particulierement inspiré Davies.
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